On en parle...
Chronique (f)estivalière : à propos de Musiques en Astarac 2022
L'édition 2022 du festival Musique en Astarac se déroulait du 11 au 14 juillet 2022. Au menu, quatre concerts dédiés à la voix, sous des prismes divers, dans de beaux lieux de patrimoine, et qui ont conquis le public.
Deux images qui me retiennent. D’abord, celle du public, debout dans l’église Saint-Christophe de Masseube (Gers), saluant avec enthousiasme les exécutants du Requiem de Giuseppe Verdi (1813-1901), une œuvre pourtant difficile. J’y reviendrai, mais dans l’instant, je songe au plaisir qu’auraient éprouvé des personnes amies, sans lesquelles je n’aurais jamais pu connaître ni le lieu, ni un certain sens de la convivialité, repère si sûr de la mémoire.
Puis, nous sommes le soir, sur la terrasse du château de Ponsan-Soubiran. Privilège d’écouter une conversation chantée improvisée entre une basse et une soprano, dans la douceur d’une nuit quasi voluptueuse après une journée de plein été, belle, mais terriblement capiteuse.
Variation sur un festival en pays rural
Le Requiem clôturait le festival Musiques en Astarac. Au vrai, le festival d’été inspire la clémence.
Voilà que la culture se laisse ornementer par la nature (soleil, ciel bleu, chaleur/fraicheur…) au point d’y perdre de sa rigueur. Voilà que le touriste, si fréquemment décrié (c’est toujours l’autre, bien sûr), imprime un certain air de nonchalance au fait du jour. C’est peut-être qu’il veut trop embrasser de la correspondance des couleurs, des sons, des parfums, mais encore des saveurs, des gestes inattendus.
La concentration cérémonieuse dans les temples du grand art cède, dans les esprits, à l’effusion dans la villégiature. Les armures se délacent pour laisser respirer le tissu de la rêverie. Le jugement suspend son vol d’aigle.
La tentation, bien sûr, de tirer parti de ces équivoques est grande. Une pincée de campagne et de tradition pour emballer un produit standardisé, une tournée de dates à boucler : ça ne mange pas de pain. Une fois sonné l’angélus du soir, les glaneuses et les bœufs rentrés, le pain pris, il sera enfin temps de ramener la culture, ou le spectacle, à la coterie urbaine. Mais ce n’est justement pas, ici, une question d’authenticité. Plutôt de labeur quotidien, patient, sur le métier du lien social, du quotidien d’un pays rural.
Cet événement est ancré, même s’il avait été mis en suspens durant quelque temps, faute en particulier à un virus sanitaire. Il prend racine sur deux semis. Primo : un pôle vocal ou l’on travaille le chant et la musique en résonance avec le patrimoine qui l’a, souvent, vu naître et prospérer. Secundo : l’association La route des peintures murales et sculptures (présidente : Marie-Noëlle Clément).
Pour chaque concert, dans une église, une chapelle, le public est ainsi convié à découvrir l’histoire de l’art du lieu, puis celle de chaque œuvre jouée. Logique de proximité, culturelle et sociale, plus que d’éclectisme, donc (pour un public qui n’est pas connaisseur). La générosité d’une tournée territoriale est servie par des exigences fortes de contenu, ou si l’on préfère, esthétiques ou artistiques. Le programme proposé était rien moins que loin du convenu.
L’exigence n’étant pas la perfection, tout n’aura pas été incontestable, huilé au point où tout fonctionne sans bruit. Je pense notamment au raté d’une prestation, à celui d’un lieu, d’un horaire —que je ne nommerai pas, car les organisateurs le savent mieux que moi.
Mais allons aux faits.
Lundi 11 juillet-18 heures
Chapelle de Lamothe-Pouy Loubrin associée au Château de Lamothe
Point de vue majestueux sur la chaîne des Pyrénées, depuis le modeste et charmant édifice religieux privé, longtemps à l’usage d’une famille noble résidant dans le mignon château dont elle constitue une aile. Le programme musical s’ordonne autour du transviola, un curieux instrument, inventé à Marseille à la fin du XXe siècle, hybride exigeant du violon et du violoncelle. Il ne permet pas, cependant, de reprendre le répertoire du violon.
Plutôt adapté au baroque, même si le concert s’ouvre et s’achève sur un dialogue contemporain entre transviola (Marion Lepelletier) et guimbarde (Zélie Lepelletier). Entre temps : transposition heureuse de pièces pour clavecin et flûte de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), dans une teinte sobre et chaude.
Mardi 12 juillet-18 heures
Église Notre-Dame de l’Assomption, Ponsan-Soubiran
Rendez-vous est fixé dans un petit volume de style roman, même s’il date du XIXe siècle. Sa reconstruction s’est opérée sous l’égide du châtelain, ministre du roi Louis XVI, comme me l’explique un guide avisé, devant la plaque mémorielle qui porte son nom. Entre autres éléments remarquables, qui lui valent d’être protégé à l’inventaire MH : un remarquable bénitier en marbre blanc des Pyrénées ; un fragment de plaque funéraire du VIIIe siècle… et un très beau plafond au motif de ciel étoilé.
Ici, la proposition couple des voix d’hommes et de femmes. Aux premiers (ensemble de voix d’hommes Aqui), le plaisir vernaculaire du chant gascon. Aux secondes, l’ensemble Phaneia, toute jeune chorale de femmes formée et dirigée par Christian Nadalet, directeur artistique du festival et du Pôle Vocal, l’interprétation d’une œuvre du répertoire du XIXe siècle. Pour ce qui ressemble fort à un baptême du feu, ces dames sont plus à l’aise que ces messieurs. Accompagnées avec doigté au piano, elles mettent tout leur cœur à célébrer l’intimiste, généreuse, paysanne, Messe pour les pêcheurs de Villerville, écrite à quatre mains par Gabriel Fauré (1845-1924) et André Messager (1853-1929).
Mercredi 13 juillet-20 heures 30
Église Saint-Laurent, Mont-d’Astarac
La petite église surprend par le volume de sa nef, remarquablement ornementée de peintures murales, qui restaurées qui préservées d’un lifting qui aurait été trop agressif. Érigée au XVe siècle, elle est inscrite à l’inventaire MH, notamment pour ses fresques représentant des scènes historiées : arbre de Jessé, Cène, épisodes de la vie du Christ et de sa Passion, Enfer, Christ en majesté et Résurrection des morts. On songe à d’antiques gestes rupestres où la grande nef puiserait une authenticité et une fraîcheur uniques.
Nouvelle agréable surprise avec le Dialogue conçu à partir d'allégories tirées du Mercure Galant et de partitions de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) par l'Ensemble La Française, lequel revendique une identité de style « Rocaille», autrement dit « baroque ». Le dialogue-querelle se dédouble entre musique (Laure Lestienne/flûte ; Shiho Ono/violon) et texte joué (Marceau Deschamps-Ségura, Jean-Christophe Frèche). Et l’on se laisse volontiers prendre au jeu d’une casuistique allègre, moqueuse, raffinée, mélodieuse, cocasse, qui nous assure de la noblesse et subtilité de cette langue française en matière de discours « moral, mais pas moralisateur ».
Celle-ci est, néanmoins mieux exposée par les textes que par la musique. Parfois, en revanche, les acteurs sont comme « sortis » de la situation, un peu spectateurs. Il est vrai que le lieu avait, pourrait-on dire, son humeur acoustique.
Jeudi 14 juillet-17 heures 30
Église Saint-Christophe de Masseube
De style néo-gothique, l’ensemble est notamment remarquable pour ses vitraux, son carillon, son mobilier… Sans oublier son orgue, même si, en cette occasion, il n’est pas d’office. La composition orchestrale d’ailleurs, et c’est une originalité du propos artistique de Christian Nadalet, est étonnante.
Seulement 5 instrumentistes sont « dans la fosse » de ce que les exégètes considèrent comme un quasi-opéra, d’une paradoxale dimension spectaculaire, puisqu’il s’agit d’un requiem.
Le plus surprenant, pour un non-connaisseur, c’est de trouver ici un marimba (instrumentiste : Louis Domallain), plus traditionnellement utilisé dans la musique traditionnelle exotique, le jazz, même s’il a suscité l’intérêt de compositeurs de musique savante contemporains, du fait notamment de son potentiel de clavier et d’amplitude sonore. La modeste, mais efficace phalange comprend également un piano (Fabrice Benhamou), Éric Rutschle (cor), Kevin Garçon(contrebasse), Laure Porte (percussions).
On n’aura jamais l’impression (il est vrai qu’on devrait comparer avec une version en « dur ») qu’elle soit dévorée par l’armée vocale regroupant le chœur (Ensemble Unité) et les solistes que Verdi convoque à souhait pour opératiser le propos (Jean Lou Pagesy/basse ; Caroline Allonzo, soprano ; Christine Labadens, mezzo-soprano).
Il faut dire que la recette avait déjà été testée, avec succès, à Ramonville (Haute-Garonne) avant que le Covid ne sévisse. Il a d’ailleurs un peu perturbé le casting : ainsi du ténor appelé en dernière minute pour suppléer l’original – ce que Patrick Gayrat a fait avec autant d’inspiration que de générosité. J’ai dit, plus haut, combien cette œuvre m’était difficile à percevoir. Mais, il advient, souvent, que l’écoute de musique s’imprègne de souvenirs : celui-là fut heureux.
Pierre-Yves Monin